Ce recueil regroupant les contributions de seize chercheurs est une tentative de penser l'écriture de la shoah dans son historicité, à la fois comme événement objectivement survenu dans le passé, expérience personnelle de celui qui y a pris part, récit que la science en fait et mémoire qui modèle la culture dans laquelle cette transmission s'inscrit. L'axe principal d'interrogation est celui du rapport entre l'événement survenu, sa mise en récit (historiographique, testimoniale, littéraire) et la culture. À partir des oeuvres portant sur l'extermination des Juifs d'Europe perpétrée pendant la Seconde Guerre mondiale, des spécialistes venant d'horizons divers – historiographie, littérature, mais aussi sociologie, esthétique, philosophie, histoire de l'art – tentent de saisir dans un dialogue interdisciplinaire la logique des rapports complexes entre plusieurs formes de connaissance et de transmission de la Shoah. Il s'agit ici de rendre compte non plus des conditions qui ont rendu possible un tel événement, mais de la manière dont il est vécu, puis narrativisé, ainsi que du cadre même de son émergence. Comment une expérience historique (celle du témoin, du survivant) aboutit-elle à une connaissance partagée par tous? Quelle en est la "gestion" symbolique pratiquée par nos institutions? Enfin, comment une expérience historique devient-elle, pour le lecteur aussi une expérience artistique? Quand et comment s'opère le passage du dire testimonial à un récit clairement formé à partir d'un projet poétique? Quelles conséquences ce passage a pour la connaissance de la Shoah? Enfin, peut-on parler d'une poétique des récits de la Shoah?
AVANT-PROPOS
Luba Jurgenson et Alexandre Prstojevic
PARTIE I – QUESTION DE MÉTHODOLOGIE
I. La question de la périodisation
Alexandre Prstojevic
Quatre paramètres pour une possible périodisation
Le canon littéraire et le partage du sensible
II. La génération d’après au risque de l’écriture
Anny Dayan Rosenman
Le vide l’absence, le blanc
La douloureuse nostalgie d’un temps non vécu
Un rapport fantasmatique à une langue perdue
Enquêtes
Le poids du silence
Voyages
Retours réels, retours littéraires
III. Approches critiques à propos de trois notions fortes des études sur le témoignage
Philippe Mesnard
Critique de la qualité biographique
Fictions testimoniales
Périodisation
Silence d’après-guerre
Critique du bel art de raconter
La leçon d’Imre Kertész
La critique du Grand Voyage
Les catégories du récit confrontées à leurs propres limites
IV. Pour une nouvelle poétique de la véhémence : Le Sang du ciel de Piotr Rawicz
Michael Rinn
La poétique de la véhémence
L’interrogation ironique
La négociation des normes discursives
Lectures ironiques
PARTIE II – HISTOIRE, TÉMOIGNAGE, ÉCRITURE
I. Les pogroms en Galicie, 1941 : des pages blanches de l’histoire à une histoire en pointillés ?
Delphine Bechtel
Première étape, des années 1950 à 1980 : des témoignages confinés au monde juif
Seconde étape, la Guerre froide : la double conspiration du silence
Troisième étape, le réveil d’une historiographie locale en Ukraine occidentale
Quatrième étape, l’émergence d’une politique mémorielle nationale en Ukraine
II. L’histoire du XXe siècle au risque du relativisme
Frédéric Rousseau
Le relativisme
L’ère du témoin
Une autre dimension : la course folle à la victimisation
Histoire de la première guerre mondiale
« Obéir n’est pas consentir » : relativisme et impasse sur la question sociale et politique
Conclusions provisoires
III. D’une épingle à cheveux retrouvée : la renaissance du dialogue sur la Shoah entre fiction et histoire dans la Hongrie des années 1970
Clara Royer
Des innovations romanesques pour réveiller la mémoire hongroise
D’une épingle à cheveu retrouvée et de ce qu’on en fit
Kertész et Ember – deux rapports à l’histoire, deux influences
PARTIE III – EXPÉRIENCE, CULTURE ET TRANSMISSION
Entre témoin et héritier : une certaine inquiétude
Régine Robin
La disparition des témoins
Transmission du traumatisme
La kitschisation de l’Holocauste
Comment représenter l’Holocauste ?
La littérature e(s)t le lien
Rachel Ertel
L’aporie insondable : l’être homme
La littérature yiddish face à la surdité et à la cécité du monde
L’héritage : donation irrévocable
« L’Acropole » et « la chambre à gaz »
PARTIE IV – ENJEUX THÉORIQUES
I. Du témoignage à l’âge de la fiction
Pierre Ouellet
Diaspora mémorielle
Semer le passé
Extrémités de la mémoire
La parole déportée
II. Le témoignage face à l’histoire littéraire : transformations esthétiques et critiques
Fransiska Louwagie
L’écriture testimoniale « après » Auschwitz : (dis)continuités
Consécration littéraire et développement esthétique du témoignage
L’influence du contexte mémoriel et générationnel
Conclusion
III. La temporalité mélancolique
Régine Waintrater
Le refus du temps qui passe
La défaite de la pensée
IV. Le présent du témoignage
Luba Jurgenson
La temporalité de la présence
La transmission : l’interprétation
La disparition des traces
Un passé revisité à la lumière du présent
Les témoins du « je n’y étais pas »
DOSSIER – LES BIENVEILLANTES DE JONATHAN LITTELL
I. L’irrésistible ascension du héros nazi (une brève histoire du romanesque de l’extermination)
Charlotte Lacoste
Une bataille littéraire du XXe siècle : la vérité de l’expérience du mal contre l’horreur vendeuse
Fiction, falsification et extermination
Les bienveillantes : un faux témoignage à décharge
Le nazi gentleman : un miroir tendu au lecteur
II. La performance du bourreau : Comment lire Les Bienveillantes ?
Susan Rubin Suleiman
Performance et jugement du lecteur
Transgression et témoignage, un couple mal assorti
III. Les « bourreaux » en héritage. Remarques sur le témoin et l’héritier à propos des Bienveillantes
Catherine Coquio
« Hériter »
L’ironie culturelle
Le roman du « bourreau » comme miroir culturel
L’« écriture du mal » et la « phalange des témoins »
Le nazi cultivé et le témoin ss : réalité, imposture, fiction ?
Fiction d’héritier
Littérature et histoire : l’héritage dans l’époque
RÉSUMÉS ET PRÉSENTATION DES AUTEURS