La Jeunesse du roi

  • 30.00€

Auteurs: 
Collection: 
30.00€
Date de parution: 
19/11/2015
Etat du livre: 
Neuf
ISBN: 
9782847431285
ISSN: 
2104-9920
Traducteur: 
Préfacier: 
François BAYROU
Postfacier: 
Hans HARTJE
Introduction et/ou notes: 
Lionel RICHARD
Titre original: 
Die Jugend des Königs Henri Quatre
Langue actuelle: 
Français
Langue d'origine: 
Allemand
Nombre de pages: 
618

"S'il n'est que littérature adaptée à l'histoire, ou histoire adaptée à la littérature, le roman historique déçoit. On ne sait ce qui agace le plus - une vérité limitée au costume, à la superficie, ou l'absence de vérité interne, d'inspiration. D'un Jules César, d'une Cléopâtre, nous attendons autre chose encore que les actes connus, les gestes convenus. L'histoire les a haussés à un plan où ils excitent notre attente, restent vivants, toujours capables de pensées, de volontés étonnantes. Il n'est que d'aller dans leur ligne, et plus avant. Ainsi Shakespeare. Ainsi, à la façon shakespearienne, Heinrich Mann. L'essentiel de ce roman d'une époque où tout était rmis en question est que l'auteur remet à son tour tout en question. Et cela à la façon du XXe siècle, dans la mesure où elle s'apparente à celle du XVIe.

Nombre de problèmes aujourd'hui sont les mêmes qu'alors, ou plutôt aujourd'hui comme alors tout devient problème."

Félix Bertaux, compte rendu de "La jeunesse du roi Henri IV", La Nouvelle Revue Française, novembre 1935.

Extraits: 

 

Extrait du roman (pp. 11-13)

 

LES PYRÉNÉES

Les origines

Le bambin était tout petit, les montagnes immenses. D'un sentier à l'autre il grimpait à travers une étendue broussailleuse de fougères qui répandaient un chaud parfum ensoleillé ou le rafraîchissaient à l'ombre, quand il s'y couchait. Le rocher s'avançait et, au-delà, la cascade tombait avec fracas, elle se précipitait du haut du ciel. Mesurer des yeux les montagnes toutes couvertes de forêts, les mesurer d'un œil perçant qui sur une pierre, bien loin entre les arbres, découvrait le petit isard gris ! Perdre son regard dans les profondeurs de l'azur du ciel planant au-dessus de lui ! Faire monter son cri, d'une voix claire, par pur plaisir de vivre ! Courir sur ses pieds nus, toujours en mouvement ! Respirer, baigner son corps intérieurement et extérieurement d'air chaud et léger ! Telles étaient les premières peines et les premières joies du garçonnet. Il s'appelait Henri.

Il avait de petits amis. Ils étaient non seulement pieds nus et tête nue comme lui, mais déguenillés ou à moitié nus. Ils sentaient la sueur, les herbes, la fumée comme lui-même et, bien qu'il ne demeurât pas comme eux dans une chaumière ou une caverne, il aimait sentir l'odeur de ses pareils. Ils lui apprenaient à prendre des oiseaux et à les rôtir. En leur compagnie il faisait cuire son pain entre des pierres chaudes et le mangeait après l'avoir frotté d'ail. Car l'ail vous faisait grandir et vous conservait en bonne santé. L'autre remède était le vin ; ils en buvaient à tous les récipients. Tous l'avaient dans le sang, les petits paysans, leurs parents et tout le pays. Sa mère avait confié Henri à une parente et à un précepteur pour qu'il grandît comme le peuple bien que, là-haut également, il habitât un château, le château de Coarraze. Le pays, c'était le Béarn. Les montagnes, les Pyrénées.

Là régnait une langue sonore, avec beaucoup de voyelles, et où l'on roulait les r. Lorsque sa mère avait été prise des douleurs, elle avait, selon la volonté de son grand-père, entonné un cantique pour demander l'aide de la mère de Dieu. Adjudat me a d'aqueste hore. C'était la langue du pays et elle était presque du latin. Aussi le garçonnet n'eut pas de peine à apprendre à parler latin, seulement à parler. Son grand-père défendit qu'il écrivît aussi. Du reste, cela ne pressait pas, il était encore petit.

Le vieil Henri d'Albret mourut en bas dans son château de Pau, tandis que le jeune Henri parlait latin à Coarraze. Il grimpait par la forêt pour chercher les isards qui demeuraient inaccessibles et le dernier râle du vieil homme coïncida peut-être avec un cri de joie du jeune garçon, pendant qu'il se baignait avec des garçons et des filles dans le ruisseau au bas de la grande cascade qui faisait une pluie de gouttelettes magnifique.

Il était extraordinairement curieux du corps des filles. Leur façon de se déshabiller et de se mouvoir, leur manière de parler et de regarder, tout en faisait des êtres complètement différents de lui-même, mais spécialement la forme de leurs jambes, de leurs hanches, de leurs épaules. L'une d'entre elles dont la poitrine commençait à se développer l'enthousiasmait, il résolut de combattre pour elle. C'était nécessaire, observa-t-il ; elle-même, elle ne l'avait pas choisi, c'est un gamin plus grand avec un joli visage stupide qu'elle préférait. Ses raisons, Henri ne les lui demanda point, ces beaux êtres n'en avaient peut-être pas, mais lui, il savait ce qu'il voulait. Le petit garçon défia donc le plus grand de pouvoir porter la fille d'un bord à l'autre du ruisseau. Celui-ci n'était pas profond mais il avait des tourbillons et des pierres plates qui roulaient quand on y posait le pied maladroitement. Son concurrent glissa en effet aussitôt et la fille serait tombée avec lui si Henri ne l'avait rattrapée. Il connaissait chaque pas dans cette eau, il la porta sur l'autre rive de toute sa force, car elle était plus lourde que lui qui n'était qu'un petit gringalet. Sur l'autre rive, il l'embrassa sur la bouche. Surprise, elle le laissa faire et il dit en se rengorgeant : « Maintenant c'est le prince de Béarn qui t'a portée pour traverser le ruisseau. »

La jeune paysanne dirigea son regard sur son petit visage passionné puis elle rit, le son de son rire lui fit mal mais sans le décourager. Elle bondissait déjà vers son adorateur victime de l'accident quand Henri cria encore : « Aut vincere aut mori ! »

C'était l'une des sentences que son précepteur lui enseignait. Il en avait beaucoup espéré. Nouvelle déception, les petits paysans ne se souciaient ni du prince ni de son latin. Vaincre et mourir leur étaient pareillement inconnus. Aussi n'eut-il plus qu'une seule issue. Il redescendit dans le ruisseau et tomba à dessein, avec encore un peu plus de balourdise que l'autre auparavant. Il imita aussi le visage niais et la boiterie du lourdaud en jurant d'une voix tout à fait semblable, tout cela avec tant de perfection qu'ils ne purent s'empêcher de rire du plaisantin. Même la charmante petite fille, il l'avait forcée à rire !

Là-dessus il partit rapidement. Il n'était qu'un bambin de quatre ans mais avait déjà le sens de l'effet. Bien que celui-ci fût déjà atteint, les sentiments luttaient dans sa poitrine. La vengeance satisfaite n'abolissait pas le souvenir. Le désir inquiet demeurait, — malgré son cœur plein de confiance.