Histoire d'octavie raconte la vie d'une jeune fille niçoise qui fête ses vingt ans en 1900. Octavie appartient à la bourgeoisie commerçante aisée. À travers les personnages qui gravitent autour d'elle, le roman évoque le Vieux Nice, les campagnes alentour à l'époque des vergers et des fleurs, l'arrière-pays avec Saint-Martin Vésubie mais également le monde au début du XXe siècle.
Début de l'ouvrage
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À l’aide de son doroir, le pâtissier de la rue Droite badigeonnait de jaune d’œuf et de sucre de savoureuses brioches avant de les enfourner, il ajouta une pincée de cannelle sur le gâteau d’anniversaire d’Octavie. La fille unique du négociant d’huile d’olive allait fêter ses vingt ans et entrer dans le xxe siècle. On parlait niçois, piémontais, français, italien dans l’hôtel particulier de la rue Galléan. La mère d’Octavie était angevine, et par une ritournelle qui fait des mots une histoire comme par en dessous, s’appelait Du Moulin. Octave, le père avait fait la connaissance d’Amélie alors qu’elle passait l’hiver sur la Côte d’Azur avec sa tante, ce qui aurait raison de sa pâleur selon les recommandations d’un médecin suédois qui partit vivre à Capri. C’est ainsi que nombre de jeunes filles ne sont plus « remontées » dans leur ville ou leur village et « à force » se sont laissées bercer par les intonations et les langueurs méridionales. C’était un jour d’avril, comme il sied aux jeunes filles d’un naturel rieur et vagabond. Octavie traversa les ruelles du Vieux Nice, passa devant le Palais Lascaris, jeta un coup d’œil, comme elle le faisait chaque fois qu’elle empruntait la rue Droite, mauvaise traduction de « dritta », la voie directe, même si elle est tortueuse, en songeant à quelque belle Italienne qui se serait penchée, au Moyen-âge, à l’une de ces fenêtres et aurait pu tendre une fleur à sa voisine d’en face ou une lettre adressée à un amoureux, tant la ruelle est étroite. Au marché aux fleurs du cours Saleya, la marchande lui offrit un œillet rouge qu’elle piqua dans son chignon d’où s’échappaient des mèches brunes, le vent de Rauba Capeù en avait affolé la soigneuse ordonnance matinale et le chapeau de paille – comme le chante le nom de cette avancée sur la mer, au pied du Castel, si exposée aux courants d’air que les chapeaux des dames et des messieurs sont dérobés – avait bien failli rejoindre le vol des mouettes moqueuses. Une indienne jetée sur les épaules, vêtue d’une longue jupe bleu lavande et d’un corsage blanc aux broderies anglaises, elle ricochait sur les pavés d’un pas léger comme les galets de la plage que les petits garçons lancent à la sortie de la messe en se pinçant les lèvres et en clignant des yeux.
Elle se rendait chez son amie Hortense, non pour l’inviter, les cartons étaient envoyés depuis une semaine et Hortense l’avait reçu, mais pour lui faire une confidence de la plus haute importance, cela ne pouvait pas attendre un jour, une heure, une minute. Octavie courait presque et se préparait à se calmer lorsqu’Ophélia ouvrirait la porte du 18 rue du Pont-Vieux chez la famille Bermond pour ne pas hurler de plaisir, elle réserverait ses éclats au doux sourire, au regard bleu gris de son amie ; son cousin, son cher cousin Andrea, son cousin de Florence, l’être idéal, et l’on n’avait pas lieu de la contredire, arrivait par Gênes et serait là, vendredi, le jour de son anniversaire.
– Le jour de Sainte Julie.
– C’est un comble, une aubaine.
– Une fête, la plus belle.
Toute la journée, elles évoquèrent ce cousin qui avait fait vœu de voyager et d’être libre comme on fait vœu de chasteté en embrassant la vie monastique, et il y avait quelque accointance entre les deux vocations. Hortense avait également les yeux brillants dans le délice des rêveries, ce cousin d’Octavie ne la laissait pas indifférente, et les rubans qu’elle mettrait dans sa chevelure blond doré seraient aux couleurs de ce chevalier des mers dont elle aimerait qu’il combattît pour soi. Toute la journée, elles en parleraient, souffleraient des bougies en priant pour lui, ne se lèveraient pas sans murmurer son prénom et iraient à Vêpres en languissant. À la fin de la journée du lendemain, comparable à un jour de jeûne dans l’abstinence qui leur avait ôté tout autre pensée, elles s’apprêtèrent.
Hortense arriva la première, Octavie disposait avec sa grand-mère qu’elle appelait Petite Mémé et Antonia le gâteau sur un plat en argent et piquait les vingt bougies comme des boutons de nacre dans la pâte fourrée à la frangipane. La frangipane nous vient de Frère Jacqueline, ainsi nommée par saint François d’Assise qui raffolait de cette friandise au point que la Dame romaine lui en apporta le soir où il se mourait. Dans la salle à manger, les rideaux fleuris sur fond jaune paille, les meubles en noyer recouverts de napperons blancs brodés sur lesquels étaient disposés des coupes de fruits confits et d’amandes, des assiettes de cerises, de fraises et d’abricots, des paniers en osier remplis de sablés aux pignons, de petits pains aux raisins, de nonnettes et de merveilles conféraient à l’ensemble un air de fête champêtre. Les invités commençaient de répandre les phrasés sonores et chantants dans les pièces attenantes, avant d’entrer dans le salon ornementé pour l’occasion. Des limonades rafraîchissantes furent servies, deux joueurs de mandoline, une surprise d’Octave, s’accordèrent pour un air de romance napolitaine, inaugurant cette journée printanière que l’on voulait délicieuse, comme la jeune fille qu’elle honorait.
En fin d’après-midi, au moment de servir le gâteau et le vin doux, Octave alla chercher son violon et joua le Printemps de Vivaldi, Amélie froissa son mouchoir en dentelle, un souvenir venait de surgir ; à ce moment-là, Octavie crut reconnaître la voix de son cousin. Andrea discrètement entra, se tint à l’écart, respectueux envers la musique, comme tout Italien, lettré ou non et ne se manifesta qu’à la dernière note, applaudissant le violoniste et sa jolie cousine qui venait à sa rencontre avec une aisance et une simplicité de mouvement qu’il lui avait toujours connues, l’éducation ne l’avait pas guindée, c’était tant mieux. Hortense s’approcha, Amélie le serrait dans ses bras et Octave l’étourdissait de questions. Andrea s’assit entre les deux amies après avoir remercié son oncle et sa tante d’un accueil si chaleureux. Il raconta quelques aventures. Il irait rejoindre son navire à Naples dans deux semaines.
– Où étiez-vous mon neveu ?
– J’étais à Naples, Alexandrie, Constantinople.
– Byzance ! s’exclama Amélie avec emphase, dont vous avez toujours rêvé, mon ami, s’adressant à Octave, tout en apportant à son neveu un verre de vin doux et une datte fourrée à la pâte d’amande, voilà qui vous rappellera quelque délice.
– Merci ma tante, mais le plus délicieux, n’est-ce pas de me trouver ce jour, parmi vous.
– Que vous ont appris les voyages lointains ?
– Federico !
Les deux amis d’enfance s’empoignèrent comme s’ils avaient brusquement basculé dans l’enfance, et un air de sauvagerie tendre passa dans le salon. Federico venait de Turin. Tous les étés, dans les montagnes au-dessus de Nice, la maison familiale, la Balma réunissait les cousins de France et d’Italie ainsi que les amis de passage.
– À ne pas vous oublier, mon ami, à ressentir avec plus de force l’attachement.
– Tu n’es donc pas un homme libre !
– Plus vivant que libre, j’ai assoupli la corde tendue de la liberté aux affres du voyage.