Lettre à Catherine

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Auteurs: 
Collection: 
0.00€
Date de parution: 
05/01/2024
Etat du livre: 
NEUF
ISBN: 
978-2-84743-328-9
Postfacier: 
Jean-Paul LE BIHAN
Nombre de pages: 
130

Lettre à Catherine est écrit par un authentique artiste, un peintre singulier au parcours atypique. Les oeuvres d'Adam Nidzgorski sont présentes dans les musées de France, Pologne et Belgique. Toutefois, sa plume, spontanée et poétique, reste à découvrir.

Itinéraire de mémoire et d'exil, Lettre à Catherine est le récit d'une promesse tenue, après le décès, à Marseille, de son épouse Catherine, née à Tunis d'un père corse et d'une mère sarde: rendre ses cendres à sa terre natale et à la Méditerranée. Ainsi, la Tunisie et la nostalgie de ce pays constituent le troisième personnage du journal d'un homme qu'un étonnant parcours avait conduit sur ses rivages.

Fils de parents polonais immigrés, Adam Nidzgorski est né à Cormeilles-en-Parisis en 1933. Élève du lycée polonais de Paris, à qui la Pologne d'après la Seconde Guerre mondiale offrit une bourse d'études supérieures du sport, il devint un jeune homme à l'esprit trop libre pour un régime qui ne pouvait l'accepter comme tel. Ses diplômes, obtenus à Varsovie, n'étant pas reconnus dans une France dont il n'avait pas encore acquis la nationalité, c'est vers la Tunisie, nouvellement indépendante, que l'orienta un solide réseau d'amis: un pays où il exerça comme professeur d'éducation physique de 1957 à 1967. Il y rencontra Catherine, tandis que se révélait son ardent désir de création artistique. Découvrant ce livre, comment ne pas évoquer Albert Camus et Le Premier homme.

Extraits: 

Ma Catherine

 

Ce soir, je commence ce gros cahier que j’ai acheté chez Graphigro – tu sais, le marchand de couleurs, où j’achète le matériel dont j’ai besoin pour mon travail pictural. Je cherchais quelque chose de simple puis, je ne sais pas pourquoi, ce cahier à spirales m’a plu ; si, tout de même ! Je pensais qu’il t’aurait plu, car tu aimais ce genre de cahier.

[…]

Catherine, tu avais une grande capacité à écrire, mais tu n’avais pas confiance en toi. Je te voyais déchirer texte après texte et, à ma grande surprise, tu avais détruit ce cahier de deux cents pages où tu écrivais ton journal très intime. Que disais-tu, Catherine, dans ton Journal ? Des amies à toi, très proches, l’ont lu ! Tu aimais les mots, les livres et les écrivains. Pourquoi donc déchirais-tu ou cachais tes écrits dès que l’un ou l’autre te disait que c’était beau ? Je ne comprenais pas pourquoi tu agissais ainsi.

Pourtant, tu m’as bien dit que tu as compris, lors de ta psychanalyse, que l’on ne te gratifiait jamais dans ton enfance. Or, à chaque fois que je te disais que j’aimais beaucoup le texte que tu venais d’écrire, tu me lançais un regard en biais, m’observais pour voir si j’étais sincère, puis tu haussais les épaules et disais : « Bof ! Ce n’est rien du tout cela, tu dis ça parce que c’est moi et que tu ne veux pas me faire du mal ».

Même de nos amis qui sont de bons connaisseurs en littérature, en qui tu avais confiance et dont tu craignais le jugement, tu disais : « Ils sont complaisants avec moi ». Les compliments qu’ils te prodiguaient s’évanouissaient avec le jour !

Que de beaux textes se sont donc évaporés, Catherine ! Ne trouvant pas de texte de toi, j’avais alors décidé d’écrire, pour L’Amateur, Une lettre à ma femme Catherine, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Dans un bloc-notes, j’avais mis quelques idées que je pensais développer plus tard. J’étais encore sous le choc de ta disparition. Trop d’émotions. Trop de larmes. Je ne pouvais évoquer ton souvenir sans qu’un énorme chagrin ne me paralyse. La fatigue et la souffrance me rendaient faible. Combien de fois ai-je souhaité tomber malade pour que l’on me prenne en charge. Je me sentais comme un orphelin !

Suis-je devenu sans repères, ni but dans la vie ? Une envie de rien, un sentiment d’inutilité, et pourquoi toute cette agitation de la vie ? C’est ainsi que j’ai ressenti l’envie d’être ailleurs, de quitter cette vie citadine qui ne me mène à rien, de partir en Inde, ou ailleurs dans une communauté pour vivre autrement, à la recherche d’autres valeurs, d’une quête du divin, et me préparer à aborder le reste de ma vie dans la sérénité et le mystère de l’inconnu, à la recherche de moi-même, pour savoir qui nous sommes, ce qui me permettrait peut-être d’approcher quelque chose d’autre que nous appelons « le mystère de l’univers ».

À mon retour de Tunisie, où j’ai passé douze jours pour accomplir tes dernières volontés – « Après ma mort, m’as-tu dit un jour, je souhaite que mon corps soit incinéré et mes cendres dispersées au large d’Hammam Lif, en Tunisie » –, j’ai raconté à la famille et aux amis comment cela s’était déroulé. Tous voulaient savoir. Mon récit me faisait voir que ce qui s’était passé était extraordinaire ! Alors que je partais inquiet et sans trop savoir comment faire, le déroulement des événements me prouvait que j’étais dans un état de grâce. Maintenant je suis sûr que j’étais guidé par ta grâce. J’avais en moi l’intuition de ta voix silencieuse, celle qui, souvent pendant mes moments de désarroi ou d’indécision, me dictait ce que je devais faire. Une force invisible m’évitait de réfléchir autrement.

Au téléphone, notre ami Hédi Bouraoui m’écoute attentivement : « C’est formidable, Adam ! Écris tout cela simplement, comme tu me le racontes, avec tes mots, tout naturellement. Cela t’aidera à dépasser les moments difficiles que tu vis actuellement. Puis, après, tu en feras ce que tu voudras, mais, surtout, écris comme tu l’as vécu et comme tu le sens ».

Oui, pensais-je, je vais commencer à te rédiger cette lettre…

Mais tu comprends bien que ce n’est pas facile de te parler alors que tu n’es pas à portée de ma voix. Pourtant, j’ai bien pris l’habitude de te parler alors que tu demeures silencieuse. Certes, tu m’écoutais très attentivement, et ton silence soutenait ton regard parlant. J’ai pris cette habitude de t’entendre, mais aujourd’hui, cela m’est pénible de bavarder avec ton silence.

« Allons, parle au lieu de laisser ces larmes effacer les dernières traces de tes paroles ! » Les flots de Hammam-Lif ne sauront jamais effacer ta superbe et gracile présence.

 

T’écrire, Catherine, c’est jouer avec l’absurde, mais te parler me fait encore vivre en ta compagnie les différents instants de notre vie quotidienne. Te parler me donne les mêmes élans pour faire et pour agir, comme si tu étais toujours à mes côtés. Me voici investi de cette énergie d’antan que je croyais avoir complètement perdue. Avec ton départ, je suis devenu amorphe, j’ai vieilli de plusieurs années. Je me suis senti coupé de tout ce qui était ma vie, de mes sensations, de mes plaisirs de vivre, de rire, de regarder, d’aimer chaque moment de la vie, de jouir de ce que la nature sait offrir. Et comme tu le sais si bien, j’aime chercher dans les regards des humains en quête du bonheur. Non, je ne veux pas croire que le bonheur m’a quitté, sinon je te trahirais, toi qui voulais que je sois toujours heureux !

Bizarre, quand même, n’est-ce pas, ce sentiment de retrouver des envies de faire, des sensations qui avaient disparu et que je croyais ne plus retrouver ! En effet, la vie revient en moi doucement. Par moments, quelque chose revient, on dirait une nouvelle naissance après une période que je n’arrivais pas à définir. Serais-je en convalescence, Catherine ?

Contre ma fragilité, ta présence. Il me revient en ce moment, ce que j’ai ressenti en Tunisie. Du coup, tout me semble se faire facilement. Face à cette mer que tu chérissais tant, je comprends de plus en plus que sans toi, je veux dire sans ta voix qui n’a cessé d’habiter mon être depuis de longues années, je n’échapperai pas à la déroute.

Ta voix est toujours ici, en moi. Présente comme la valse de ces martinets que nous contemplions, émerveillés, comme deux gosses, dans le ciel de Tunis en fin de journée.

Chaque jour, depuis ton départ, je te demande aide et protection. Tu réponds ! Peu importe comment tu réponds maintenant. L’essentiel est que je me sens soutenu et protégé. Par toi ! Comme tu as toujours su venir en aide à tous ceux qui venaient te parler, puis repartaient le sourire sur les lèvres et la joie dans le cœur ! « Catherine a la parole si juste, si conciliante. Elle sait écouter, elle sait partager ! » disaient-ils. Oui, dis-je en moi-même, elle sait donner tout, même son propre bonheur !

À moi aussi, tu as tout donné. Jusqu’au bout tu tenais à ce que je me réconcilie avec la vie.

– Catherine, je suis fatigué aujourd’hui... Oui, il fait chaud ! et je ne sais plus si ce que je vais écrire vaut la peine d’être écrit... Mais bien sûr qu’il m’arrive de douter ! Je ne suis plus dans le même état qu’hier. Et je me suis promis de t’écrire en m’appliquant. Mais comme tu sais de quoi je suis capable, alors j’ai dédié de me laisser écrire comme je le fais en dessinant.