La tanière des vainqueurs. Séjours et voyages au Cameroun et au Congo

  • 15.00€

Auteurs: 
Collection: 
15.00€
Date de parution: 
23/02/2017
Etat du livre: 
NEUF
ISBN: 
9782847431674
ISSN: 
1962-1949

Le voyage, en Afrique, comme ailleurs, surtout lorsqu'il est dupliqué par son récit, ouvre vers un déchiffrement des êtres et des lieux rencontrés, en propose une compréhension qui s'attache à les nouer au fil de la vie de son auteur. Dans l'observation de la démarche des gens ou des enseignes de boutiques, dans les conversations de café – à La Tanière des vainqueurs – où  on parle aussi bien de politique que de cannibalisme, dans la découverte de rituels, qui mêlent mort et renaissance, et au long de périples hasardeux, des images et des formules se cristallisent, suscitent des souvenirs. Ainsi, en un ton ni ironique ni condescendant mais simplement humain, le récit reçoit et offre sa part de fraternité avant de s'approcher finalement du "bord du monde".

Sommaire: 

Début de l'ouvrage :

 

1

La Tanière des vainqueurs

À Bangangté, derrière la tribune des commémorations, on peut se garer facilement, en quinconce. Parmi les cinq ou six cafés, ou « lieu d'aisance », comme on dit égale­ment ici, dressant sommairement des tables dehors et faisant cracher leur sono, la Tanière des Vainqueurs attire par son nom et son enseigne. Un lion agressif et une panthère plutôt sur la défensive, tous deux ballon au pied et engagés sous un drapeau, flanquent la curieuse appel­lation. L'image fait bien sûr référence à l'équipe nationale du Cameroun, Les Lions indomptables, et, moins évidem­ment, à celle de Bangangté, La panthère sportive du Ndé. En fait de tanière, celle-ci est donc supposée être le rendez-vous des supporteurs de football. De part et d'autre de l'écriteau, on affiche aussi, en lettres blanches sur fond rouge, cet avertissement énigmatique : « on vous connaît », « oui on vous connaît ». Détournant consciemment ou non le fameux précepte socratique, la mise en garde semble annoncer une contre-révolution dans l'histoire de la philo­sophie ; « se connaître soi-même » est dévalué, on doit à nouveau s'en remettre à un esprit universel et omniscient – ne serait-il que celui de la patronne de l'établissement, laquelle sans doute peut deviner à l'avance votre choix de consommation. Ainsi, à la Tanière du moins, le client paraît certes soumis à une autonomie relative mais dans une aliénation apaisante.

Il n'était pas rare ‒ à l'époque où je fréquentais cet établissement ‒ d'y entendre la voix inattendue de Pascal Danel ‒ tout à fait inattendue dans ces parages et à cette époque ‒ et elle délivrait un tout autre message, loin des préoccupations socratiques, un message plutôt eschato­logique :

Il n'ira pas beaucoup plus loin,
la nuit viendra bientôt,
il voit là-bas dans le lointain
les neiges du Kilimandjaro !

La nuit tombe vite, il est vrai, sous ces latitudes et les collines au loin peuvent effectivement évoquer un approxi­matif et modeste Kilimandjaro ! Du moins pour qui l'ima­gination a toujours été un mode fertile de saisie du monde, un moyen aussi efficace que l'alcool de tenir éloignée une inquiétude fondamentale, comme pour, par exemple, les clients de la Tanière, assis à l'une des deux longues tables, sur deux chaises superposées, comme c'est l'usage et l'intérêt du consommateur pour sa propre stabilité. Ils consomment tous de la bière ; elle semble efficace pour détourner l'amer­tume des sentiments vers les seules papilles. Et c'est vrai que, s'il faut à tout prix combattre les difficultés de la vie, c'est bien dans un bar et grâce à une bonne économie de l'ivresse que réside la plus belle façon d'oublier, ou de désespérer ! On y refoule la douleur ! Au lendemain et à son inévitable décevante récidive de la veille, on oppose le bref espoir du présent, la consolation par l'alcool et le partage de sa condition avec ses compagnons de bouteilles, ceux qui peuvent confirmer qu'on vous connaît