Pathé-Baby

  • 22.00€

Collection: 
22.00€
Date de parution: 
21/03/2013
Etat du livre: 
Neuf
ISBN: 
9782847430653
Traducteur: 
Préfacier: 
Oswald DE ANDRADE
Introduction et/ou notes: 
Antoine CHAREYRE
Nombre de pages: 
274

En 1925, un jeune Brésilien visite Portugal, France, Angleterre, Italie et Espagne. Il rédige sur le fait, pour la presse, des impressions de voyage qu'il rassemble en 1926 en un beau volume illustré et télégraphiquement préfacé par Oswald de Andrade, l'agitateur du "futurisme" local et prompt découvreur de talents. En touriste pressé et impertinent, dans un style coupé, rapide et synthétique, il inverse la perspective exotique habituelle pour s'amuser de l'Europe, ses aspects pittoresques ou incongrus, ses attraits touristiques un peu galvaudés et son patrimoine étouffant. Il moque surtout les réflexes culturels, l'imaginaire et le regard brésilien (comme latino-américain) d'alors sur le vieux continent. Un essai de désapprentissage reçu comme une réussite exemplaire au sein du groupe moderniste. Caméra Pathé-Baby, guide Baedeker et méthode Berlitz: voir l'Europe, vite!

Sommaire: 

Avant-Propos

 

Pathé-Baby

 

Programme

 

Ouverture : Lettre-Océan, par Oswald de Andrade

1. Las Palmas

2. Lisbonne

3. De Cherbourg à Paris

4. Paris

5. De Paris à Dives-sur-Mer

6. Londres

7. Milan

8. Venise

9. Florence

10. Bologne

11. Pise

12. Lucques

13. Sienne

14. Naples

15. Pérouse

16. Assise

17. Rome

18. Barcelone

19. Séville

20. Cordoue

21. Grenade

22. Madrid

23. Tolède

Moralité

 

Textes annexes

Récife

Guaranis voyageurs

 

Notes et Variantes

 

Postface

Voir l'Europe, vite, par Antoine Chareyre

Extraits: 

Extrait du chapitre sur Lisbonne

 

PREMIER ÉPISODE : ALLER
 

1. salle de visites

Boue dans le Tage. Matinée horrible au ciel gris. Petite pluie fine qui tombe. Froid. Vent. Le canot fait des bonds dans les vagues : il descend, monte, descend, monte. Une balle de caoutchouc qui rebondit.
— Nous en avons encore pour longtemps avant de toucher terre ?
— Est-ce que je sais !
Le crachat complète l’aimable réponse.
Enfin, Porto da Desinfecção. Il mérite une désinfec-tion urgente. Immonde. Tapissé de vase. Barques de pêche aux voiles attachées. Pêcheurs à bonnet rouge, à bonnet vert. Mauvaise odeur.
Chasse acharnée après une automobile.
— Un petit tour d’une demi-heure ? Soixante escudos.
L’automobile est une Pic-Pic ; le chauffeur ne devrait pas avoir le droit de porter un col (mais il en porte un, tout sale).
— Tapez pas sur la couverture ! C’est pas fait pour être esquinté !
Le guide improvisé, tremblant de honte, proteste avec énergie, se défait en récriminations, hurle son importance. Sans résultat appréciable.
— Mais si vous aussi vous avez une automobile, allez la chercher ! Je sers pas des types sans éducation !
Les mains sur le volant, il ordonne :
— Hé, mon gars ! Tourne un peu l’hirondelle qu’elle est tordue !
L’hirondelle est un aigle en métal doré, posé sur le radiateur.

2. c’est comme ça

Dans la rue 24 de Julho il y a d’épouvantables lagunes d’eau boueuse. Des Ovarines 18 aussi, en groupes. Des vendeurs ambulants. Des sabots bruyants. Un marché infect. Des pieds nus hors du commun. Des jupons sur les genoux. Des pantalons retroussés. Des marchandes de fruits et légumes. Des types en bonnet, cape espagnole et parapluie.
La statue du Duc da Terceira.
Après d’autres, la rue do Ouro. Bijouteries. Banques. Vieux bâtiments. Place du Rossio, avec Dom Pedro IV, différent de celui de Pedro Américo, planté au centre 19. Le Teatro de Dona Maria au fond, blanc. Et des Lisboètes matinaux, au pas leste.
Le Chiado. Maisons de mode. Boutiques. Tailleurs en quantité. Gardes civils au brassard vert et rouge. Rue Garrett (la plaque explique que Garrett est un poète qui vécut du tant de telle année au tant de telle année). L’automobile souffre de tabès : sur le pavé innommable elle tremble de frayeur.
La statue de Luís de Camões. Forte odeur de gloires passées. Maisons tristes, moisies. Le froid et la pluie fine.
Rue do Alecrim. Encore une statue. Charmante. De marbre, avec la Vérité, Eça regarde sans voir 20. La Vérité, presque nue, a trois doigts partis. Ça fait mal. Pour ceux qui sont partis.
Devant le Eça en marbre défilent des types que celui qui était en os plutôt qu’en chair a connus et exploités 21. Ce cochon aux gants couleur beurre et au chapeau melon c’est Damasio à coup sûr. Bottines à élastique qui grincent : le conseiller Acácio. Maintenant, Pinho, en pardessus, écharpe et parapluie. Et Juliana, battant de ses mules le pavé glissant.

3. Immortel jardin de l’Europe

Quai du Sodré. Monument aux Hommes de la Mer. Les barques de pêche, amarrées, les mâts nus, sont des arbres sans feuilles, secs, oscillants.
O Século et le Diário de Notícias commémorent par des dessins, des photographies, des airs rimés, le septième anniversaire de la bataille de Lys. Neuf avril. Journée pavoisée. Prétexte des Portugais pour se souvenir encore une fois de leur passage triomphal à travers les cinq parties du monde, de la grandeur des Gama et de l’héroïsme des Albuquerque. Le Portugal d’aujourd’hui : nostalgie géographique de celui d’hier.
Dix heures. Le canot qui devait nous attendre, à quai, depuis quinze minutes, n’est pas encore arrivé.
— Ces messieurs-dames ont payé leurs billets d’aller-retour ?
— D’aller-retour, oui.
— Et à quelle heure part le vapeur ?
— À dix heures et quart.
— Ah les voleurs ! Ils auront donc gardé l’argent !
Affairement. Colère et désespoir. Malédictions. Inutiles.
— Vous êtes le garde ? Nous avons un besoin urgent d’une embarcation.
— Qu’est-ce j’ai à voir ’vec ça ? Allez parler au patron, le petit vieux, là-bas.
Demandes. Suppliques même. Le petit vieux n’a pas l’âme dure heureusement (la tête l’est un peu, grâce à Dieu).
C’est bon. Hé batelier ! Hé batelier ! Où se sera fourré ce vaurien ? Hé batelier ! Le voilà. Apporte vite un canot, garçon, c’est le départ !
Apparaît un homme maigre, visage râpé, cheveux bouclés couvrant le col de l’immense cape de cire noire, habit sombre et chapeau énorme, cravate de peintre et grande canne redoutable.
— Je vous présente l’une des plus grandes influences politiques du pays : monsieur Armando de Azevedo.
Et le guide improvisé ajoute tout bas :
— Ce gars-là est le grand chef des révolutionnaires de Lisbonne !
Le grand chef a un air voyou de Méphistophélès populaire, fait en séries.
Il pleut toujours. L’illustre agitateur prend place dans le canot, qui démarre. Au-dessus du vacarme du moteur et du bruit des vagues, s’élève la voix caverneuse du chef :
— Les amis, si vous revenez un jour à Lisbonne, vous le saurez : on me trouve toujours à la Brasileira, le café où se font les petites révolutions…
Le guide improvisé ne dévie pas ses yeux en extase du Lénine type Ford, qui, debout, au centre du canot, lance un regard tyrannique sur le Tage, sur Lisbonne, sur le Portugal, sur les hommes, les choses et les éléments.
— Un grand ! Un très grand ! Un homme nécessaire. Ici y a que la dynamite qui vaille !
À bord, le chef révolutionnaire a une épouvantable attaque d’asthme. Il explose presque. Presque 23. 

Avril 1925.