En l'espace de trois décennies, Orhan Pamuk s'est imposé comme un écrivain incontournable de la littérature mondiale. Auteur de bestsellers dont les sorties sont des événements éditoriaux, traduit dans plus de 70 langues, il occupe régulièrement l'actualité littérature et culturelle occidentale. Comment un auteur, qui commence à écrire au milieu des années 1970 dans un pays du Tiers-monde, dans une langue à très faible pénétration sur le marché littéraire occidental et européen, issu d'une petite culture littéraire sans grand prestige ni ancienneté, parvient-il à gagner le centre du système littéraire et à conquérir toutes les places fortes de la consécration et de la reconnaissance occidentales?
C'est à cette question que le livre tente de répondre. Examiner le rapport d'Orhan Pamuk à la littérature mondiale, c'est mettre au jour les stratégies d'un auteur excentré qui conduisent ce fils de la bourgeoisie kémaliste féru de littérature moderne à devenir une superstar de la République mondiale des lettres, au même titre que Salman Rushdie ou Umberto Eco. Tandis que la première partie replace Orhan Pamuk dans l'espace hiérarchique et inégal de la littérature mondiale et s'intéresse à l'héritage culturel, historique et littéraire du romancier, la deuxième partie examine son rapport au canon occidental. Toute l'ingéniosité de cet auteur réside dans une stratégie littéraire qui est à la fois stratégie d'auteur et stratégie d'écriture : si l'héritage du mimétisme et du provincialisme turcs est transformé en dotation maximale pour pénétrer l'espace mondial de littérature, la mise en place d'une poétique de la taklit permet de conjurer l'angoisse de l'influence et de l'excentricité en une nouvelle catharsis romanesque de laquelle émerge la fiction de l'auteur pamukien.
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
De la périphérie à la littérature mondiale : stratégies d’un auteur excentré
1. L’héritage d’Orhan Pamuk ou la « conscience malheureuse de l’intellectuel turc »
A. Le complexe de la taklitçilik
L’invention mimétique de la modernité turque
Domination, hégémonie, dépendance coloniale : quel modèle pour penser les rapports avec l’Europe ?
« Angoisse de l’influence » de la littérature turque
B. Le complexe de la taşralılık
Une ferveur francophile…
… au coût narcissique élevé
Les « intrus au spectacle de la modernité » : le champ littéraire turc dans la littérature mondiale
Le roman, un genre étranger
C. Orhan Pamuk et le « destin historique » des lettres turques
Loin du centre : l’ethos extra-européen d’Orhan Pamuk
« La valise de mon père » ou la vénération de la littérature européenne en héritage
À l’extérieur de la bibliothèque européenne occidentale
2. Consécration, institutionnalisation, globalisation : la trajectoire d’un auteur turc dans la littérature mondiale
A. 1980-2000 : la trajectoire de Pamuk dans le champ littéraire turc
Ethos de la bourgeoisie laïque dans la Turquie des années 1950-1960
La revendication d’une position autonome dans le champ littéraire : un ethos occidental
La conquête de la reconnaissance littéraire dans l’espace national
Traductions européennes et prix littéraires : la conquête de la légitimité dans le système mondial
B. Mondialisation et médiatisation : de l’écrivain turc cosmopolite à l’auteur global
Médiatisation, mondialisation, globalisation d’Orhan Pamuk
Le champ littéraire à l’ère du capitalisme global : l’ère du soupçon ?
C. Vers la littérature mondiale : élaboration et réajustement de la figure de l’auteur
Effacement des maîtres turcs
Une posture de grand lecteur de la bibliothèque occidentale
Le domaine français
Le domaine russe
Le domaine anglophone
Le domaine germanophone
Le domaine hispanophone
DEUXIÈME PARTIE
Orhan Pamuk et le canon occidental : stratégies d’écriture
3. Une poétique intertextuelle
A. Réécriture de Thomas Mann
Cevdet bey et ses fils : roman des origines et origine du roman pamukien
La saga des Buddenbrook et des Işıkçı (Cevdet bey)
Les signes du déclin : histoire de la désagrégation d’une famille
B. Réécritures proustiennes
La (non)-réception de Proust dans la littérature turque
Le Château blanc : « mistranslation » proustienne
Les « madeleines » des romans d’Orhan Pamuk
Le Livre noir, le livre de la mémoire et de l’oubli
Le Livre noir : « Mademoiselle Albertine gitti ! »
C. Pratique intertextuelle et jeux postmodernes
SIGNALISATIONS DE DANTE
De la Vita Nuova à Yeni Hayat
Le Livre noir ou l’enfer pamukien
LE CANON OCCIDENTAL ET LA SÉMIOSE PROLIFÉRANTE DU LIVRE NOIR
Le canon de la littérature européenne et occidentale dans le rhizome du texte
Orientalisation du canon occidental
CONCLUSION : POLITIQUE DU CANON OCCIDENTAL
4. Dostoïevski ou le maître russe de Pamuk
A. Au miroir russe
B. Le roman comme théâtre idéologique de la modernité
LE PERSONNEL ROMANESQUE DES OCCIDENTALISTES
La condition de l’intellectuel turc occidentalisé
Fanatisme occidentaliste et dialogisme romanesque
« [Nos] fins étant bonnes… » : l’occidentaliste ou la légitimation de la violence
LE PERSONNEL ROMANESQUE ANTI-OCCIDENTAL
« Humiliés et offensés »
Le destin libidinal de l’humiliation, entre millet et cemaat
L’imaginaire messianique du sauveur entre mythification et mystification : « Nous l’attendons, tous »
Le Dr Lefin entre délire paranoïaque et exaltation mégalomaniaque
5. Mimétisme et hantise de l’Autre : de l’angoisse de l’influence à une poétique de la taklit
A. La poétisation d’un dilemme historique : l’autre et le mimétisme
Un questionnement généralisé
Le désir mimétique du personnage : être l’Autre
Mimétisme girardien, mimétisme postcolonial
De la nostalgie d’un moi « propre » au refus du mimétisme
« Un pays où tout était plagiat » : poétique du simulacre et de la contrefaçon
B. La genèse fictionnelle du sujet écrivant
Prendre la place de l’Autre : le carrousel du roman
Jeux mimétiques et « feintise ludique »
Au miroir de la lecture, soi-même comme un autre
Emprunter, voler, plagier : imitation et création littéraire
Conclusion
Liste des éditions utilisées
Index