La vie d'une femme rom (tsigane)

  • 16.00€

Collection: 
16.00€
Date de parution: 
29/09/2016
Etat du livre: 
Neuf
ISBN: 
9782847431506
Préfacier: 
Cécile CANUT
Langue d'origine: 
Français
Nombre de pages: 
120

Stefka Stefanova Nikolova vit dans le quartier Nadejda, « L'Espérance », à la périphérie de Sliven (Bulgarie), réputé
jadis pour la valeur de ses musiciens. Isolé du reste de la ville par un mur construit tout autour du quartier dans
les années 70 afin de cacher les habitants tsiganes aux regards extérieurs, le « Ghetto », comme certains  l'appellent, regroupe actuellement plus de 20 000 personnes. Le chômage et la pauvreté, depuis 1989, gagnent inexorablement les habitants qui fuient vers des fortunes incertaines. Supportant mal de voir son lieu d'enfance partir à la dérive, Stefka, mère de famille que rien ne prédestinait à l?écriture, s'est mise à composer des textes sur sa vie avec l'espoir que quelqu'un, quelque part, l'entende et change la situation. Stefka S. Nikolova a longtemps caché ses manuscrits avant de les montrer, puis d'en accepter la publication à l'étranger.

 

Lecture d'extraits de La vie d'une femme rom (tsigane), lors du Festival du cinéma de Douarnenez en 2013 :
https://www.youtube.com/watch?v=tYJgyFAhXKc

Sommaire: 

Début du journal de Stefka Stefanova Nikolova

 

Moyata lyubov kam moyata strana

Mon Amour envers mon pays

J’aime beaucoup ma Bulgarie ! Je suis née ici — je vis ici — mais je ne suis plus sûre de vouloir continuer à y vivre. Bien que je sois tsigane — j’ai pour mon pays, j’en suis persuadée, l’amour le plus pur — plus pur encore que celui d’une vraie Bulgare — qui, lorsque les temps s’annoncent difficiles, cherche à le fuir au plus vite. Je parle ainsi parce que je vois ce qui se passe autour de moi. Jusqu’à l’âge de 20 ans, tout autour de moi était rose et beau — mais ces deux dernières décennies — j’ai vu, j’ai appris et j’ai compris beaucoup de choses.

Je suis née à Sliven — le Balkan est tout proche — la mer aussi — chacun d’une infinie beauté — j’aime chaque fleur, chaque herbe, chaque pierre. Je me réjouis du chant des oiseaux, je me réjouis de tout ce que la nature a créé, et je suis heureuse au plus profond de moi que tout cela existe dans ma Bulgarie. Ici, dans mon pays, on trouve les meilleures tomates du monde, les pastèques les plus savoureuses, et les plus succulents fromages…

Je l’aime tellement ma Bulgarie !

Peut-être — mais au fond j’en suis sûre — tant de traditions sont oubliées par les Bulgares dont, nous, Tsiganes, tâchons de conserver intact le caractère ! À commencer par les mariages — sans la musique folklorique bulgare — au moment de voiler la mariée, de lui offrir le henné — un mariage n’en est plus un ! Sans ronde de mariés bulgares — rien ne va !

Il en va de même pour la Saint-Georges, la Saint-Vassil, le 24 mai, etc.

Le Tsigane est peut-être pauvre — mais il se doit de trouver de l’argent, en empruntant s’il le faut, afin que le soir de la fête tout soit à sa place sur la table. Quand bien même il lui faudra se nourrir de sel et de pain — le lendemain de la fête — la tradition sera respectée.

Je vis dans le plus joyeux et le plus bruyant des quartiers. J’ai regardé à la télévision le carnaval de Rio — des choses semblables se passent chaque jour dans mon quartier — s’isoler n’est pas possible — la musique et l’amusement ne cessent jamais.

Pourtant — me retournant sur l’époque de mes 20 ans — je vois combien les gens sont aujourd’hui gagnés par le désespoir — sans travail, ils cassent des noix pour toucher cinq leva[1] par jour — afin de survivre — ne parlons pas des maigres économies quotidiennes destinées à l’achat de savon — pour la lessive — de shampooing, des denrées de première nécessité si dérisoires au siècle où nous vivons — moi, je n’ai pas envie de rire mais j’ai envie de pleurer quand je vois une mère avec un enfant casser des noix — assise sur le sol avec, contre elle, son bébé tétant le sein, sale — comme l’est sa mère, affamée, pieds nus, vêtue de haillons : c’est qu’il n’y a tout simplement pas d’autre issue, car l’argent suffit à peine à se nourrir.

Ne parlons pas non plus de l’endettement des familles — elles empruntent auprès d’usuriers malhonnêtes une somme qu’elles ne pourront pas rendre tant les intérêts sont excessifs : elles sont, jusqu’à leur mort, endettées jusqu’au cou.

C’est cela la vie ?

 
[1]    Soit environ 2 euros cinquante (un lev = cinquante centimes). NdT.