Pirate du bitume

  • 15.00€

Auteurs: 
Collection: 
15.00€
Date de parution: 
10/11/2015
Etat du livre: 
Neuf
ISBN: 
9782847431261
Langue d'origine: 
Français
Nombre de pages: 
186

En marchant dans les pas d’un gamin de la rue nourri à la vache enragée duHard Discount, en suivant le parcours d’un adolescent fasciné par la culture des gangs américains, à travers l’itinéraire d’un pirate d’aujourd’hui, ce roman éclaire l’une des réalités sociales les plus dures de la société française. C’est l’histoire d’une jeunesse coincée entre la peur et la pitié, d’une jeunesse écartelée avec le cœur en Afrique, l’estomac en Europe et le regard tourné vers les bas-fonds de la grande Amérique. Une jeunesse qui meurt d’envie de croquer toutes les richesses de la société du spectacle, des mirages au milieu du désert. Une jeunesse qui accouche d’un monstre : le grand banditisme des cités HLM.

 

Extraits: 

Début du livre
 

Le brouillard serpente dans la cité du Cosmos entre les vingt-quatre immeubles identifiés par les vingt-quatre lettres de l’alphabet, dans des rues aux noms de planètes ou de révolutionnaires, héritage d’un demi-siècle de banlieue rouge. Les rues Lénine et Louise Michel coupent la cité en quatre.
Au milieu, grâce à des activités artistiques et sportives toutes plus citoyennes les unes que les autres, le centre social Jean Jaurès prophétise la renaissance de la mixité sociale et du vivre-ensemble, le tout au nom de la République.
À l’ouest, une usine a été transformée en maison de retraite : une centaine d’ouvriers est partie à la casse, une dizaine de mères de famille a été embauchée pour servir la soupe et changer les draps.
À l’est, une butte de gravats de dix mètres de haut a été aménagée en aire de jeux pour enfants.
Au sud, la forêt, d’où sortent renards et sangliers pendant la nuit.
Au nord, la plus haute tour s’enorgueillit de quinze étages. Lorsque l’ascenseur fonctionne, le quinzième ressemble à un havre de paix. On n’en­tend plus le bruit de la rue à cette hauteur et, par beau temps, on aperçoit la tour Eiffel.
Depuis quelques années, les bâtiments les plus larges se fissurent. Tous les six mois, un expert mesure l’aggravation des failles répertoriées, dans lesquelles poussent toutes sortes de champignons. Personne ne mesure en revanche la radioactivité des boutons d’ascenseur « Made in India », cinq fois supérieure à la dose autorisée.
Du haut de ses six ans, Nino flirte avec le vide de sa chambre. Le Père Noël n’est pas passé : « c’est à cause qu’y’a pas d’cheminée ».
Son père regarde FRANCE Vs ANGLETERRE, faut pas le déranger. Sa mère refait les comptes alors elle aussi, faut plus la déranger. La famille du dessous se crie dessus, la famille du dessus est en dessous de tout. Nino ouvre la fenêtre en grand. Il flirte à nouveau avec le vide mais cette fois, du cinquième étage.
Dehors, y’a des Gremlins : une cinquantaine d’enfants perdus qui s’imaginent que la rue les a adoptés et qui donnent à cette marâtre le meilleur d’eux-mêmes avec stupeur et tremblements. Les Gremlins, c’est comme ça qu’on les appelle dans la rue. Leurs cris rebondissent sur les parois des immeubles et crèvent le brouillard. Tout l’automne, ils se sont livrés à la « guerre des marrons » opposant les Gremlins du nord à ceux du sud. Armés de lance-pierres et de couvercles de poubelle transformés en boucliers, ils s’attaquaient à l’improviste, en mode « guet-apens », ou à heures fixes, en mode « champ de bataille ». Nino a suivi les combats du haut du cinquième étage. Il a vu des pierres et des billes remplacer les marrons dans le feu de l’action. Il a vu des gamins pleurer et d’autres rire.
Avec la neige, la hache de guerre a été enterrée. Les boucliers se sont changés en luges et la butte est devenue une piste noire. Nino veut en être !
« J’descends ! », crie-t-il à ses parents.
La porte claque dans l’indifférence. Le rejeton appuie sur le bouton radioactif de l’ascenseur.
Dans la rue boueuse, des Gremlins lui crachent dessus. L’un d’eux lui interdit de grimper tout en haut de la butte, un autre lui demande ce qu’il donnerait en échange.
« Rien, j’ai rien, j’ai juste des billes.
– Donne tes billes ou bouge de là. La butte, elle est à nous ! »

Il revient avec des billes dans la main et les donne à Joe Dalton, le chef des Gremlins : « La butte, elle est à nous ! Va faire un tour !
– Et mes billes ?
– Quelles billes ? »

Seul sous un grand ciel gris, il fait un tour puis deux, trois… tous les jours…
« Rentre chez toi ! » lui conseille un voisin qui passe par-là. Rentrer ?
« Nan, être dedans, c’est être puni ! »
Au bout de quelques mois, il est affublé de surnoms. Il traîne après le coucher du soleil ce qui lui vaut « Rémi sans famille ». Les Gremlins l’en­tourent et lui chantent en chœur la B.O du dessin animé, modifiée pour l’occasion : « je suis sans famille et je m’appelle Rémi, et je me balade sans ami ». Cela dure cinq minutes, après ils se lassent, mais recommencent le lendemain, ou dix minutes plus tard.
Derrière « Rémi sans famille », « Calimero » se fraye un chemin, accompagné de sa phrase préférée : « c’est vraiment trop inzuste ».
En troisième position, « Chinetoque » : pour ses yeux bridés et ses cheveux lisses, noirs, brillants, héritages de lointains ancêtres asiatiques.
« Ouais mais un chinetoque qui s’appelle Nino…
– Et l’est blanc comme un Allemand, ton chinetoque.
– Oh ! Toi, tes parents, sont quoi ? »

Ce n’est plus lui qui fait un tour mais bien la rue qui lui tourne autour… Blanc ou Jaune, sans frère, erreur de casting dans les rues du Cosmos.
Joe Dalton le met au défi : « Si tu veux récupérer tes billes, faut passer les épreuves ! »
Les épreuves ? Il les invente au fur et à mesure.
Le soir, à table, le daron hausse le ton : « Pourquoi tu veux jouer avec les p’tits Arabes et les p’tits Noirs. Sont pas comme nous. Ils te rendront jamais tes billes, que ça t’serve de leçon. Tu comprends, Nino ? Faut plus qu’tu pleurniches. Faut qu’tu t’endurcisses ! Tu les évites, et s’ils te cherchent, tu les cognes ! Si t’es mon fils, t’y arriveras. Putain, ces salauds nous ont encore coupés l’électricité. »
Les coupures sont fréquentes. La famille s’éclaire à la bougie, suffisamment pour voir que la maman a les yeux rougis.
« Tu vois, Nino, y’a qu’les femmes qui pleurnichent », ajoute le daron.
Le rejeton étouffe ses larmes.
À sept ans, Nino ne pleurniche plus et intègre la bande de Joe Dalton où les occasions de s’empoi­gner ne manquent pas. Les partages s’avèrent souvent difficiles pour cause de pénuries sévères et d’appétits virils. Pour en croquer, faut du cran, des alliés. Nino se rapproche de Mamadou : costaud aux sourcils froncés, adouci par un surnom enfantin, Mamade. Il habite le même immeuble et, comme lui, préfère être dehors. Avec un père à la main lourde, trois grands frères autoritaires et quatre sœurs au cœur durci par l’injustice, pour lui aussi, « être dedans, c’est être puni ». Nino le croise tous les jours aux alentours de son bâtiment et le retrouve dans sa classe de ce2. Ils ne se quittent plus.
Zinedine, long et maigre, bientôt surnommé Zizou grâce au dernier ballon d’or français, rejoint le duo infernal en CM2. Ensemble, ils tiennent en respect la bande de Joe Dalton et s’attaquent aux fils à maman de pub de lessive, aux chouchous à la mode.
La dernière mode ? Des balles qui rebondissent dans tous les sens en émettant des sons étranges et en luisant de toutes les couleurs. Elles entrecoupent les dessins animés et atterrissent sur les emballages des gâteaux secs et des céréales. Le refrain de la pub tourne en boucle dans la tête de Nino : « Si t’es cool, cool, cool, t’as ta boule, boule, boule ; boule magique !
– C’est du vol à c’prix-là »
lui refuse sa mère en poussant son caddie.
Il essaie d’oublier mais un écolier se paie sa tête à la récré : « T’as pas d’balle ? T’as même pas d’slip ! » L’écolier et ses copains ricanent, et avec eux, Naïma, la plus belle écolière. Pas d’balle, pas d’slip, pas d’bol, pas d’belle… Nino, Mamadou et Zinedine foncent dans le tas et s’emparent de ces balles débiles. La mode des balles magiques s’arrête brutalement, Naïma sourit bêtement.
« Tu veux un chewing-gum, Nino ? » demande Olivier, petit nerveux surnommé Olive, admiratif et prudent après la distribution de baffes et la récolte de balles. Tous les jours, il viendra ainsi offrir un chewing-gum, jusqu’à transformer le trio en quatuor. Azuz lui emboîte le pas pour ne pas perdre le seul ami qui lui reste depuis que les autres ont déménagé loin des cas sociaux, loin des cas soces qui s’entassent. Il accepte à contrecœur son nom de baptême : Couscous, pour ses kilos en trop et le couscous de sa mère. Olive a vendu la mèche... Zinedine a complimenté la maman : « il a l’air bon, vot’ couscous, M’dame ». Et tous les copains ont eu droit à une assiette bien garnie. Zinedine a remis ça : « il était vraiment bon, vot’ couscous, M’dame ». Et tous les copains ont eu droit à des crêpes et des verres de lait.
« Elle est trop cool, ta mère, Couscous.
– Tu crois, Mamade ?
– Mamade a raison. En plus, t’as une console, avec Don King Kong !
– Si j’étais toi, j’resterais chez moi, tranquille.
– T’as une chambre rien qu’pour toi ! C’est ouf.
– Tu m’énerves, t’as trop d’chance. C’est la chance, une mère comme ça.
– On pourra r’venir chez toi ?
– Faut arrêter d’parler d’ma mère ! On fait quoi ?
– Tu veux d’l’action, Couscous ?
– Ouais !
– Et ta mère ?
– Elle surveille pas.
– ok, on y va ! »

Les ballons rebondissent sur les fenêtres et les carrosseries, les bonbons sont fourrés au fond des poches et des slips. Les Gérard et les René, la boulangère et l’épicier, se lancent dans des course-poursuites mémorables. En représailles, Nino et ses copains incendient leurs boîtes aux lettres avec des pétards, urinent sur leurs paillassons, collent des déjections canines sur leurs fenêtres, leurs poignées de porte ou de portière. Ils les emmerdent littéralement. Essoufflés et isolés les uns des autres, les adultes sont des géants ridicules incapables de former une bande. Seuls quelques-uns sont à craindre, comme Patrick, surnommé « l’inspecteur Patrick ». Ancien loubard devenu président de l’amical des locataires, il connaît les noms et les adresses de chacun et vous donne des leçons à vous clouer au lit.
Patrick ou pas, de temps en temps, Nino le sait, il doit y passer. C’est la vie. Il se couche sur le côté, se recroqueville et se protège le visage. La ceinture paternelle claque une quinzaine de fois et oh ! Miracle, Nino a survécu. Malgré l’habitude, cela le surprend toujours.
Bouton radioactif : il se jette dans la rue jusqu’au coucher du soleil…