De la relation pédagogique et du rapport aux savoirs. Un journal de thèse

  • 25.00€

Collection: 
25.00€
Date de parution: 
15/10/2011
Etat du livre: 
Neuf
ISBN: 
9782847430523
Langue d'origine: 
Français
Nombre de pages: 
366

Écrire un mémoire ou une thèse est une aventure. C'est un voyage au long cours dans les lectures, les idées, le terrain, l'effort pour organiser une pensée.
Tenir le journal de cette aventure est nécessaire pour garder les traces d'un cheminement que la mémoire refoulerait sans cette discipline volontaire de l'auto-observation au jour le jour.
Le journal de thèse d'Augustin Mutuale suit la construction de sa pensée. Il pourra inspirer toute personne qui vit l'expérience d'écrire un mémoire, une thèse, un livre.
Il a également pour objectif de constituer un outil de travail pour tout étudiant qui débute dans la tenue d'un journal.
 

Extraits: 

Début du journal de thèse d'Augustin Mutuale

 

1999

Janvier

1er janvier1999,

Il est 9h25. Tout le monde dort. J’étais tellement fatigué qu’on a arrêté la fête vers 3h30, pour aller se coucher.

J’hésite entre commencer à écrire et prendre mon temps pour faire une toilette. J’opte pour l’écriture, après avoir dit à v.a.m. qui s’est réveillé aussi en toussant, que j’allais prendre une douche, qu’il reste couché, car les autres enfants et adultes dorment encore.

Aujourd’hui 1er janvier, je vais essayer d’écrire un journal de mon cheminement de thésard. Je ne pense pas limiter ce journal à ma thèse, mais au contraire l’ouvrir à toutes mes lec­tures. Bien avancer dans l’écriture de ma thèse. C’est mon ob­jectif principal.

Tiens, je commence l’année avec la relecture du livre de Georges Lapassade L’Entrée dans la vie. Essai sur l’inachè­vement de l’homme. Une entrée dans l’année 1999. Oui, je souhaite plein de réussites pour les miens. Une grande ouverture à l’autre. Tiens, v.a.m. tousse et me demande. Que mon quo­tidien, mes engagements familiaux et professionnels puissent s’harmoniser avec mes désirs de formation humaine et intellec­tuelle ! Bonne année !

J’ouvre les fenêtres. Il fait doux et beau pour un 1er janvier. Le soleil est au rendez-vous. Il y a chez ma sœur Rita et son mari ainsi que chez leurs enfants un accueil spontané qui met à l’aise. Ils m’étonnent. Ils aiment accueillir, donner, partager, rire. Jean-Pierre a beaucoup d’humour, il a toujours des histoires à raconter. Ils vivent et nous communiquent cette joie de rencontres mal­gré les vicissitudes de la vie. J’aime beaucoup passé le réveillon de la nouvelle année ici, avec ma famille et leurs amis.

VAM ne tousse plus. Il s’est rendormi dans mes bras. Je viens de lui raconter à ma manière les rencontres du petit prince.

2 janvier 1999,

Hier dirait Merleau-Ponty, « L’événement a eu lieu » : L’Europe des treize a basculé dans la monnaie unique. En France, plus de dix mille personnes, c’est-à-dire le quart des employés, ont passé la Saint-Sylvestre dans les banques, afin de mener à bien la conversion de l’ensemble des données pour l’ouverture des agences lundi.

Est-ce que le client sentira cette extase de banquier quand il se pointera lundi ? L’événement n’aura pas autant d’emprise sur lui que sur son banquier.

Pour le pygmée dans sa forêt équatoriale, y a-t-il eu un non événement, ou finira-t-il par ressentir ses échos avec « l’effet Papillon » dans l’espace et dans le temps ?

L’événement est-il objectif ou subjectif ou plutôt objectif et subjectif ? La question de l’événement m’intéresse beaucoup : comme fait matériel ou psychologique, qui fait irruption, brèche dans l’histoire individuelle ou/et collective ?

3 janvier 1999,

L’histoire chez l’homme a commencé par un événement, une forme de rupture : le sommeil, la nuit, un accident, la mort… Il y a eu dans la vie – qui dans son désordre, se présentait ordon­née, en mouvement continu – une brèche qui imprima dans le psychisme un avant et un après.

4 janvier 1999,

Quelques explications personnelles :

– Justice : l’autre a une valeur.

– Loi : séparer, créer la distanciation, la possibilité d’auto­risation, la non fusion.

– Institution : comme cadre d’expression de sa liberté.

– Dialectique : comme mouvement transformation.

– Dialogique : un espace d’ouverture. Un ping-pong res­pectueux de l’adversaire.

Échange avec A.O sur un courrier daté du 2 janvier de cette année que je suis en train de rédiger pour François Overlaet. J’ai été dérangé par d’autres engagements. J’y reviendrai dessus dans quelques jours.

5 janvier 1999,

Nous n’avons plus besoin, pour agir, d’imaginer un avenir sans conflits et des groupes humains réconciliés dans le dimanche de la vie…

Dans un monde en révolution permanente, voici le temps d’apprendre à vivre notre inachèvement.

Quelques réactions à la suite de la relecture de la préface de la seconde édition du livre L’Entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme de Georges Lapassade.

À la relecture de ce livre, je remarque – par mes souligne­ments ou mes notes dans les pages – que j’avais déjà lu le livre en entier. Pourtant, je ne me rappelle que d’une lecture aride et sans émoi. Intellectuellement, ce livre m’avait laissé le souvenir d’un travail de recherche sérieuse et d’une interrogation, disons plutôt d’une ouverture à une nouvelle pensée « des étapes » de la vie dans les différentes approches.

6 janvier 1999,

La complexité a congédié la totalité, la connaissance classique croyait trouver la certitude dans ses fondements, dans l’ordre de la nature, dans la séparabilité de ses objets et dans la logique déductive – identitaire. La connaissance complexe affronte l’incertitude, l’inséparabilité et les insuffisances de la logique déductive – identitaire […]

Il n’y a plus de fondement unique ou ultime à la connaissance. Il n’y a plus d’ordre souverain dans un univers ou chaos, désordres et aléas obligent de négocier avec l’incertitude.

D’où la formulation dans le premier volume de la méthode, du tétralogue dialogique : ordre/désordre/interaction/organisation.

Je pense, qu’à la page 248 du livre Mes Démons, Edgar Morin a formulé l’événement Morin dans les sciences sociales. J’avais acheté, il y a quelques mois, ce livre dans une petite librairie où je venais fouiner avec v.a.m. Je l’avais laissé dans son emballage. Il m’a fallu plus d’un an pour l’ouvrir et enfin commencer à lire un Morin. Ce livre était dédié au journaliste présentateur de l’émission littéraire de France Inter. J’ai acheté un livre qui était adressé à un autre. Faut-il que la rencontre avec Edgar Morin soit aussi insolite ? J’achève La complexité humaine. Je viens d’emprunter à la bibliothèque les trois pre­miers tomes de La Méthode.

7 janvier 1999,

Je viens d’écrire une lettre à François, dans laquelle j’essaie de proposer ma vision de la complexité événementielle au mo­ment de la puberté : le corps, la connaissance, le psychisme, la transcendance. C’est un texte dont je vais garder un double pour l’affiner ou le ré-interroger.

8 janvier 1999,

Séminaire de Remi Hess qui nous demande de parler de nos lectures. Je prends la parole pour dire que je suis en train de relire L’Entrée dans la vie de Georges Lapassade. Lors d’un séminaire avant les vacances, après mon intervention sur le « sujet », Georges Lapassade se posait la question de savoir où il pourrait trouver de la documentation, car il voulait écrire un livre sur l’identité. Je lui ai répondu que j’avais trouvé L’Entrée dans la vie comme une approche sur l’identité. Il était lui-même étonné : « Tiens, c’est vrai ! J’ai déjà écrit un livre sur l’identité ! »

Cette réponse m’amena à relire L’Entrée dans la vie, mais aussi à le traverser en même temps avec Mes démons, Le para­digme perdu, La Complexité humaine, d’Edgar Morin. Je viens en plus d’emprunter à la bibliothèque La Vie de la vie, La Matière de la nature et La Connaissance de la connais­sance. Je suis donc en train de relire paresseusement L’Entrée dans la vie, en dévorant au même moment les autres livres : c’est un temps de lecture que j’appellerai : les amis de Georges.

Cette lecture me ré-interroge sur l’approche du sujet de Bernard Charlot. Pour moi, aujourd’hui, le sujet de B. Charlot est épistémique, c’est un sujet qui a trouvé du sens à sa vie et qui s’y colle. Si B. Charlot a enfin introduit la singularité du sujet dans son concept du rapport au savoir, il ne le laisse pas libre. C’est un sujet contrôlé, qui a compris alors que le sujet lapassadien échappe à son auteur, il est dans la lignée de Morin, d’Ardoino… Il bouge, vit, se construit, se déconstruit, il échap­pe à lui, à l’autre… D’où non pas un rapport, mais une relation. Le rapport définit complètement l’autre, fige l’interaction, tandis que la relation fait travailler cette interaction.

Pour Remi Hess, j’entre en plein dans le conflit Lapassade-Rochex. L’un libère le sujet ; l’autre le fige, le cantonne dans un rôle. C’est un conflit qui est en train de se durcir. Je n’étais pas au courant. Mais j’avais fait un entretien avec Jean-Yves Rochex sur la relation pédagogique. Et je me rappelle que sa relation pédagogique, prenant en compte l’espace public et l’espace privé, tenant compte du pourquoi l’enseignant est mandaté… évacue le sujet dans ses conflictualités – dans le rapport au savoir. La relation pédagogique est instituée dans un rapport au savoir, où le privé n’a pas sa place, ni même l’affectif. Par image, je peux dire que, pour Rochex, on deman­de à l’enseignant un cerveau, non un cœur. En cela, J.-Y. Rochex, disciple de B. Charlot, est plus radical que lui ; il est plus proche de Milner, Salvy que de B. Charlot.

Pourtant si on interrogeait plus loin ces entretiens dans l’Expérience scolaire, le rapport au savoir pourrait se montrer dans sa complexité. Cette complexité serait reliée au sujet avec son histoire, mais aussi ses désirs toujours en mouvement. Le sujet de Rochex comme celui de Milner serait donc celui de Jung portant son masque – pour jouer un rôle – et qui en plus devient complètement ce personnage ; son masque devient chair.

Je viens d’acheter La Valse de Remi Hess. Je lis Œdipe-Roi de Sophocle. Il me revient le désir de lire des livres qui sont « en dehors » de ma recherche, qui me font respirer un peu.

RER B. Je viens d’assister au cours de Remi, ou plutôt à ses échanges avec les étudiants. Il a beaucoup discuté avec un étu­diant. Un allemand. Cela faisait un temps que je n’étais pas venu au séminaire. C’est intéressant cette comparaison de l’école française et allemande. J’ai appris ce que font les autres. Après ma thèse, je pourrais m’intéresser à ce que font les autres. Il a aussi parlé plus largement de l’interculturel. J’ai noté dans mon cahier, mais il me reste des questions sur cette conflictualité inévitable sinon nécessaire à l’interculturel. Je pense croiser la pédagogie de l’interculturel dans ce que j’appelle l’éthique de la rencontre dans la relation pédagogique. C’est vraiment inté­ressant de participer avec les autres. Je n’aurai probablement pas pensé à ce sujet. Le fait qu’il y ait un étudiant qui pose la question nous a tous fait profiter, en tout cas moi. Je compte développer un chapitre sur l’interculturel. Il a beaucoup parlé de Burkhard Muller et Christoph Wulf. Je compte les lire et interroger la culture de la famille et celle de l’école. Je ne me hasarderais pas à comparer les différentes cultures scolaires. Je n’en ai pas les moyens aujourd’hui, ni les compétences. Je sens que je tiens là quelque chose. Il faut que je prenne des notes et que j’axe maintenant mon journal plus sur la recherche. Actuel­lement, je l’utilise pour tout. Peut-être mettre en place deux journaux ? Il nous en a parlé. À suivre...